Un atelier vers des étudiants
de l’Ecole d’Architecture de Grenoble
Notes de Bruno Meyssat – février 1995
« Mes spectacles ont jusqu’à
maintenant été dépourvus de texte et peuvent être comparés à des peintures en
trois dimensions où, lumière, son et espace sont les partenaires efficients de
l’acteur.
Dans ces quatuors visuels, l’Espace tient un rôle capital ; sa plasticité
mais aussi l’inconstance de notre relation à lui me préoccupent. Nous sommes
littéralement emportés par le temps qui distord tout ce qu’il touche, l’espace
n’échappe pas à la règle. Aussi, notre regard sur lui, notre vie avec lui
(« parmi lui ») parlent de notre mémoire, disent notre passé enfoui,
mal enfoui, irradiant…
Exposée ici et maintenant à la lumière d’hier (fulgurante et autonome en moi), ma relation aux lieux est donc instable, souple, fertile à l’infini.
Ce que je fus, « quand j’étais petit », continue de sculpter, de polir les étendues où je repose, agis, attends. Aussi ce dialogue absolu de ce qui est de l’ordre de l’espace avec ce qui est de l’ordre du temps peut permettre d’entre apercevoir des domaines de notre être même. Le moraliste Joubert (1754-1824) écrivait cette phrase étrange : « l’espace est la stature de Dieu ».
Quand je la lis, j’entends que l’espace contient le temps, est un de ses modes, et qu’oeuvrer sur lui c’est agir sur une totalité, donc nous engage en notre totalité même ; à travers toutes nos couches intimes.
Entreprendre un atelier avec des étudiants en architecture m’a donc tout de suite intéressé.
J’ai souhaité, au moyen des outils
que ma pratique théâtrale me procure, travailler avec eux sur leur mémoire,
celle d’hier mais surtout celle de leurs premières années, celle où se tissent
d’anciennes relations à des lieux familiers ou mal définis (maison, appartement,
jardin, école, église, portions de rues…) qui, d’une certaine façon, existent
encore.
Je me suis demandé si, de par ce voyage intérieur à faire, pouvait se dévoiler
quelque chose, évoquant leur vocation à oeuvrer sur l’espace plutôt que sur autre
chose (ce qui les motive actuellement), ou du moins voir avec eux ce que
« leur coeur » recèle, dans sa discrétion profonde, quant à leur vie
dans l’espace ; de sorte qu’il puisse s’en servir et le méditer.
Encouragés par un travail physique
et émotionnel préparatoire et par des conditions favorables, nous avons laissé
revenir des images anciennes, se produire des récits du temps où leurs corps
étaient bien plus petits, mais leurs sens tout aussi vifs. J’ai formé le voeu
que ce don oral fait aussi aux autres du groupe les conduise à réaliser des
images (dessins, peintures…) puis des ébauches de maquettes portant
témoignage de ce que leur âme contient du « vif passé révolu ».
J’ai tenté de leur transmettre la primauté de cet invisible-là en regard du
monde visible sur lequel nous nous acharnons tous.
Je leur ai, de fait, proposé cette
question :
« Vos espaces oubliés sont-ils actifs en vous quand vous en imaginez de
nouveaux afin de les construire, de les faire sortir du sol ? » »
Bruno Meyssat
Saint Laurent d’Agny le 24 février 1995