Documentaire 8
14 stagiaires
Ce stage s’est déroulé du 18 janvier au 8 février 1995.
En guise de bilan… par Bruno Meyssat – mars 1995
« J’ai abordé cet atelier alors que je me trouve dans une période de transition de mon travail. Avec Orage de A. Strindberg, j’aborderai la mise en scène d’un texte pour la première fois. Aussi, un travail se rapportant à la parole chez l’acteur était à l’ordre du jour.
L’essentiel de notre entreprise a été la recherche des conditions pour qui permettent à l’acteur de proférer son texte dans l’instant, d’être traversé par lui.
Une lutte pied à pied avec les clichés d’élocution de chacun (ce qui est notre lot à tous, sans monter sur les planches pour autant…) a eu lieu.
Cette parole obligatoire, « prévue » (l’auteur l’a écrite depuis longtemps, l’a mise en ordre) devait pouvoir passer par l’acteur avec le même bonheur qui fait tinter parfois une parole documentaire ( celle où l’acteur livre aux autres un témoignage intime, non préparé).
Tel était l’enjeu, telle était l’utopie.
La confiance et la possibilité de s’abandonner à l’imprévisible (à ce qu’on peut juger ridicule ou « trop long ») devant le groupe furent d’abord recherchées.
Un travail physique dirigé par Philippe Cousin a été proposé dans ce sens. Il a porté ses fruits. Dynamique en partie, il proposait d’autre part une suite d’étirements musculaires qui incitaient chacun à être l’acteur et le spectateur des tentatives fatiguées de leurs partenaires et, ainsi, de laisser choir des inhibitions d’acteurs liées à ’ »l’image »,au paraître qui, vivaces et renouvelés demeurent les adversaires incontournables de l’acteur.
Ainsi, ce training fut en quelque sorte la préparation physique adaptée à l’état « d’abandon » et de disponibilité requis pour cet autre travail, celui de dire un texte par ses répliques.
Les textes abordés étaient de Strindberg : tout d’abord « Mademoiselle Juile » puis « La Maison Brûlée », « le Songe » et enfin « le Chemin de Damas III ».
Ils n’étaient sus par coeur, les acteurs les avaient à la main. Le groupe en son entier travaillait toujours car, toutes les deux ou trois répliques de chacun des rôles, les acteurs changeaient. L’écoute devait être permanente, chacun des « titulaires d’un rôle », par exemple Julie, partageant la responsabilité du texte dit par ce personnage, au sein d’une sorte de généalogie où celle qui allait parler était aussi « présente » que celle qui parlait ou celle par qui le dialogue avait commencé.
Quelque soit le passage du texte « en travail », on lui parlait déjà, on continuait à lui parler, ou bien »un des Jean » lui adressait présentement la parole.
Pour une autre séquence de travail, les rôles n’étaient pas attribués, le groupe en son entier était porteur de l’ensembles des répliques, celui ou celle qui se sentait prêt (e) prenait la parole puis la laissait (être assumée par un(e) autre).
Il pouvait aussi se passer qu’un rôle puisse être porté par un acteur (par exemple Jean) et rencontrer une Mademoiselle Julie nouvelle à chaque réplique (soit une stagiaire différente). Il devait être disponible pour sentir l’évolution permanente de son état intérieur sollicité par cette instabilité et « en tirer à chaque réplique les conséquences », tout en évitant la production en série de clichés que produit un coup d’oeil trop rapide à son partenaire (ainsi qu’un réflexe faux « vite vu, vite dit, pas vu, pas pris »).
Chacun(e) a pu être mis(e) au moins une fois face à sa voix non volontaire, celle d’une parole réelle, celle qui ne s’annonce pas.
On s’est attaché aussi à inciter l’acteur à travailler en état de faiblesse face à l’autre (nu sous une couverture ou se laissant ouvrir les bras très lentement). Là, des choses ont été entrevues, le texte est venu aux lèvres comme une larme ou une pensée intime.
Une imprégnation musicale a aussi permis la résurgence de souvenirs d’enfance que chacun ensuite racontait, livrait aux autres ainsi qu’ un cadeau.
Le travail a été quotidien de 15h. à 23h. Il demandait un silence absolu de l’environnement, ce qui fut obtenu après quelques discussions.
La présentation à un public le 8 février de séquences de travail a engendré son ambiguïté naturelle. Nous avons saisi cette invitation comme une épreuve nous demandant de fait de passer outre la présence des témoins qui, forcément, nous réveillait à la perte du prochain, de celui qui arrive d’un autre temps que le travail, s’assoit, regarde, apprécie et soupèse dans l’attente inévitable d’évènements.
Un exposé de l’enjeu de chacun des exercices, « de son cahier des charges » aurait peut-être été profitable, c’est un regret qui nous incombe.
Ce « Voyage à Béthune »
demeure une intense séquence de travail partagé. Il fut le foyer de questions
ardentes, les gestes de chaque jour en ont engendrées.
Tous les stagiaires ont acceptés de mettre leurs expériences professionnelles
(si différentes pour chacun…) à la question et de revoir parfois des
postulats anciens, voire peu fondés.«
Bruno Meyssat
Saint Laurent d’Agny, le 2 mars 1995