Expériences au sujet (des récits) de la Conquête du Mexique 1519-1521
Diffusion
Créé le 9 juin 2021 à la MC2 (Grenoble)
– du 9 au 17 juin 2021 à la MC2 (Grenoble)
– du 1 au 3 décembre 2021 à la Comédie de Saint-Étienne
– du 26 Janvier au 3 février 2022 au TNS (Strasbourg)
– les 15 et 16 mars 2022 au Théâtre de Lorient
Distribution
Réalisation : Bruno Meyssat
Avec :
Philippe Cousin, Paul Gaillard, Yassine Harrada, Frédéric Leidgens, Mayalen Otondo
Assistante à la mise en scène :
Elisabeth Doll
Plateau et scénographie :
Pierre-Yves Boutrand
et Bruno Meyssat
Régie Générale :
Romain de Lagarde
Lumières :
Romain de Lagarde
Son : Etienne Martinez
Costumes : Robin Chemin
Presse
Production Théâtres du Shaman,
Coproduction MC2 (Grenoble), TNS (Strasbourg), Théâtre de Lorient, Comédie de Valence
avec la participation artistique de l’ENSATT et avec le soutien du dispositif d’insertion de l’école du TNB
Théâtres du Shaman reçoit le soutien
du ministère de la Culture et de la Communication DRAC Auvergne – Rhône-Alpes (compagnie à rayonnement national et international),
de la région Auvergne-Rhône-Alpes
et de la ville de Lyon.
Avec le soutien en résidence de la Fonderie (Le Mans) et du Cube-Studio Théâtre d’Hérisson (03).
Avec le soutien de la SPEDIDAM.
Et avec le concours de l’Institut Français à travers la Résidence Sur Mesure : OTUMBA.
BIFACE s’inspire des confrontations (entre 1519 et 1521) du peuple aztèque et de l’armée de Cortés à travers les narrations qui en ont été faites de part et d’autre.
La conquête du Mexique par Cortés est une occasion cruciale d’observer la collision pour ainsi dire sans préparation de deux modes d’existence prétendant chacun à l’universalité.
L’impréparation des uns comme des autres développe un climat de fantastique qui se traduit dans tous les témoignages. C’est le propre de cette période de l’histoire qui se caractérise par un afflux inédit d’images et d’informations bouleversantes.
Nombre d’historiens pensent que la Conquête installe la modernité de façon planétaire, qu’avec elle commence la Globalisation. Et elle commence dans une zone extérieure où les hommes agissent, désinhibés.
Lors de ce trauma, l’Espagne allait devoir gérer un agrandissement de son territoire de quatre fois sa taille, intégrer le sort de plusieurs millions de personnes lointaines dans le corps d’une nation, tout juste établie lors de la Reconquista en 1492.
La soudaineté de l’événement, cette incapacité des protagonistes à accommoder l’autre, à s’en faire une image stable et concrète va naturellement engendrer toutes les projections possibles, ce recours naturel pour sortir d’un état de stupeur et repasser à l’action.
Dans ce « nouveau monde » cette rencontre s’est produite avec un autrui aussi lointain que si eût été l’habitant d’une autre planète. Séquence d’exception, elle est l’expression éloquente de nos potentiels et de nos hantises.
« Il semble y avoir des temps où l’action doit être plus rapide que la législation, et c’est un moment de ce type que nous trouvons. » (Sloterdijk).
Ceci nous interpelle en premier lieu
Dans « La conquête de l’Amérique », Tzvetan Todorov écrit :
« J’ai choisi de raconter une histoire, plus proche du mythe que de l’argumentation, d’abord parce que c’est une histoire vraie ensuite parce que mon intérêt principal est moins celui d’un historien que d’un moraliste.
A la question comment se comporter à l’égard d’autrui ? Je ne trouve pas moyen de répondre autrement qu’en racontant cette histoire exemplaire. J’écris ce livre pour essayer de faire en sorte qu’on n’oublie pas ce récit, et mille autres pareils.«
Des textes Aztèques
A l’origine de ce projet il y a la lecture des Récits aztèques de la Conquête. Ed Seuil, co-écrit par Georges Baudot et Tzvetan Todorov.
Ce livre réunit les écrits mexicains relatant l’arrivée des Espagnols dans « ce nouveau monde », leurs approches puis la guerre coloniale qui s’en suivit.
Pour nous ces textes ont été une surprise, par leur existence d’abord, puis par leur contenu. En effet, si l’arrivée de Christophe Colomb à San Salvador en 1492 ne fut documentée que par lui (car les indigènes taïnos ne nous ont pas laissé leur point de vue) là, au Mexique, la situation est bien différente.
Grâce au point de vue aztèque,
toutes les expressions de ce court-circuit historique se révèlent et acquièrent
une dimension supplémentaire, édifiante.
Cette « littérature aztèque » nous offre l’occasion de relater des
événements connus et commentés déjà dans le détail par les espagnols à partir d’une
sensibilité archaïque où le religieux joue un rôle prépondérant. On peut y lire
l’envahissement d’un territoire par d’Autres venus de si loin qu’on ne peut pas
dire où est « ce loin ». C’est une littérature enchantée, présentant
des faits si étranges qu’ils semblent recousus, assemblés comme on le ferait au
sortir de la nuit.
Ce sont des récits résolument visuels.
Ces écrits ne proviennent-ils pas d’une civilisation « où on se déguisait en colibri, en papillon, en abeille, en mouche ou en scarabée ? « On en voyait même qui se chargeaient sur leur dos un homme endormi en disant que c’était le sommeil… » (Duverger )
L’importance des signes
Cortés communique avant de combattre et communique même alors qu’il combat. Il organise la perception qu’ont et auront de lui les Aztèques et profite de leur incapacité à admettre ce qu’ils voient, à l’intégrer au réel.
Ainsi, lors des premiers contacts les Indiens ne sont pas certains que les chevaux des espagnols soient mortels, voire même dissociés de leurs cavaliers. Pour maintenir cette méprise, Cortés fera soigneusement enterrer les cadavres des bêtes tuées, les nuits suivant les batailles (il a aussi observé que les Aztèques ne combattent jamais la nuit).
C’est ainsi que cinq cents hommes initialement débarqués vinrent à bout, en deux années, d’un royaume organisé et hégémonique de plusieurs millions d’habitants dirigé par un empereur dont le nom seul terrorisait ses sujets.
Le Fantastique. Intérieurs
Paradoxalement, Cortés va aussi conquérir le Mexique au moyen de tout ce qu’il ignore. Il écrit à Charles Quint :
« Pour moi je ne saurai dire la centième partie des choses que j’aurais à dire, mais je m’efforcerai de conter les choses que j’ai vues, et, bien que mal dites, elles apparaîtrons encore si extraordinaires qu’on ne voudra pas les croire, puisque nous, qui les avons vues de nos yeux, notre raison se refuse à les comprendre ».
Nous regarderons ces événements, ces conflits, ces accalmies et ces irruptions de violence à travers le prisme du conflit interne d’un individu. L’Histoire n’est-elle pas, aussi, la manifestation à grande échelle des conflits qui traversent un individu, l’amplification de ce qui existe et se débat dans chacun de nous, au sein de nos psychismes ?
Moctezuma à Cortés :
« J’étais envahi de mauvaises impressions depuis cinq ans déjà, depuis dix ans déjà.
J’ai regardé là-bas vers l’endroit inconnu d’où tu es sorti, d’entre les nuages, d’entre les brouillards. »
…..Et projections
Le voyage concret, pragmatique et émotionnel de Cortés et sa rencontre avec les Aztèques sont vécus dans l’instabilité permanente et la vacance de tous repères, jusqu’au paysage qui se forme au fur et à mesure qu’ils avancent. Les faits autant que leur récit évoquent parfois un itinéraire onirique démembré.
Le séisme de cette conquête a tant à nous apprendre, non seulement sur les projections que nous élaborons au sujet de l’Autre, mais surtout sur le rôle et l’importance de notre Ombre et son emprise au sein de telles failles historiques. Là on voit cette façon innée que nous avons de déposer à l’extérieur de nous les hantises qui nous habitent. A ce titre, l’actualité ne nous démentira pas, les réalités futures non plus.
Des rapports ambivalents
Les circonstances de cette Conquête où l’homme occidental percute son semblable le plus lointain (nommé à tort l’Indien) permettent de mettre au jour des comportements bridés par les civilités. On se révèle dans ces décades là. Cet autre point est captivant, propre à cette époque et à cette confrontation jamais vraiment anticipée.
Les attachements affectifs des protagonistes, leurs investissements émotionnels y sont parfois indécidables car ils ne renvoient pas à la seule logique diurne et politique mais aussi à des dimensions sensibles et subconscientes. Ainsi, après bien des épisodes de grande violence, Cortés est parfois saisi de regrets, de remords, de sentiments sympathiques envers les indiens. Cette mauvaise conscience est un domaine vaste que nous devrons explorer.
De nombreuses fois Cortès exprime le remords qu’il a d’user de tant de cruauté et de violence, de « ce mal qu’il leur fait ».
» Devant l’impossibilité de toute transaction, je résolus de prendre pour notre sûreté une mesure radicale et ce fut de détruire, quelque temps que cela pût nous coûter, les maisons de la ville chaque fois que nous y pénétrerions ; de manière que nous ne ferions plus un pas en avant sans tout raser devant nous, tout aplanir, et transformer les canaux et les tranchées en terre ferme. »
Pourtant, il s’adresse en ces termes à Moctezuma alors qu’il l’a déjà fait prisonnier :
« Ce n’est pas en vain, Seigneur Moctezuma, que je vous aime comme moi-même »
Plus tard, c’est le même homme qui va décrire la disparition de l’empereur Aztèque avec une concision surprenante.
« Il reçut un coup de pierre si violent qu’il mourut trois jours après. Je remis son cadavre à deux indiens nos prisonniers pour qu’ils le livrassent à ses sujets. J’ignore ce qu’ils en firent. »
Ces hiatus attirent toute notre attention.
La complexité permanente des rapports qu’entretiennent les deux camps résulte certainement de cette fascination mutuelle favorisée par le cadre inouï où tout se déroule et si vite.
Mondialisation / Globalisation
On peut dire que la geste espagnole de l’époque raconte bien une première mondialisation. La partie Espagnole et occidentale pose déjà, à cette occasion et dans notre histoire, les germes d’un arasement des croyances, d’une démythification des espaces, des êtres et des choses. Le désenchantement du monde commence à s’imposer lors de la Conquête qui deviendra vite une affaire marchande.
La victoire de Cortés et des Espagnols est suspecte et partielle. En effet, cette rencontre de nature exceptionnelle a eu lieu sous l’aune des enjeux économiques. Or bien qu’on voudrait nous les faire assimiler comme fins dernières, ces obsessions n’assouvissent jamais notre appétit d’exister ni n’apaisent la fréquentation interminable de nos ombres.
Vers le plateau. Correspondances
Nos matériaux seront tout d’abord les récits qui, de manière croisée, rapportent le Conquête tant du côté espagnol qu’aztèque. Ces textes seront en partie entendus dans le spectacle même. A ceux-là s’ajouteront des écrits contemporains, ainsi ceux, cruciaux, du philosophe Peter Sloterdijk et des historiens Serge Gruzinski et Christian Duverger.
BIFACE sera le rendu au plateau, par une petite communauté (5 interprètes), de toutes les questions et correspondances qui nous l’auront traversée (et n’ont pas pris une ride). Le travail dramaturgique préparatoire sera important afin de sortir des domaines convenus se rapportant à la Conquête.
La relation entre les textes et les actions scéniques sera cruciale ne serait-ce que pour rappeler ces faits tant ils sont oubliés ou méconnus. La source principale de l’imaginaire sera bien le texte. Ils sont tellement étonnants que ce sont des images.
Nous ne pensons pas user de personnages, ni prétendre figurer ces protagonistes de l’Histoire. Aussi nuls costumes d’époque. Pourtant nous ne devons pas oublier que la force de ces événements tient autant aux vérités actuelles qui s’en dégagent qu’aux attraits puissants qu’exercent encore ces présences disparues et surgies du Moyen-Age. Nous avons besoin de surfaces sur lesquelles projeter.
La musique de cette époque nous indique une voie : à son écoute chacun, en son for intérieur, y projette des contenus et des sentiments d’aujourd’hui et pourtant elle porte résolument les harmonies anciennes, sources même de notre si grande émotion (Cabezon, Ortiz, Morales, Josquin Desprez, mais aussi paradoxalement Domenico Scarlatti ou encore toutes les oeuvres admirables anonymes de cette époque que Jordi Savall a pu enregistrer)
C’est en 1575, cinquante-quatre ans
après les faits, que le soldat Bernal Diaz del Castillo enverra à la cour
d’Espagne le récit de ce qu’il a vu là-bas. Il avait alors quatre-vingt trois
ans. Il serait né en 1492…avec le nouveau Monde sauf si ce revenant ne se
révèle pas être… Cortés lui-même.
Un transport ironique de toute cette Histoire vers des rivages décidément
imaginaires.
C’est que les guerriers qui se
battaient contre nous ne tuaient pas toute suite les soldats qu’ils enlevaient
vivants. Ils se contentaient de leur porter des blessures assez graves pour
qu’ils ne pussent pas se défendre, et après cela ils les emmenaient vivants
afin de les sacrifier à leurs idoles.
Avant de les tuer ils les obligeaient souvent à danser.
J’ai pris l’habitude de dire qu’on les enlevait.
La Conquête du Mexique se termine le
13 août 1521, il y a cinq cents ans. Elle se perpétue encore.
Dans cette nuit, l’action est une intention qui n’a pas connue sa retenue.
« Montezuma avait réuni toutes les variétés d’oiseaux qu’il collectionnait. Ce fut mon grand regret que je les détruisis et cela faisait encore beaucoup plus de peine aux Mexicains et aux habitants des bords de la lagune, car pas un ne pensait que nous puissions jamais arriver jusque là« (Cortés)
Cortés
Bruno Meyssat
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Le Cadix
Photos de Bruno Meyssat
Presse
Friction
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4 Février 2022
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Hottello
Véronique Hotte
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